La cité des pires rates

Si j’avais espéré pouvoir me rendormir ne serait-ce qu’un peu le temps que Shay prenne sa douche et s’occupe de ses petites affaires, je me trompais. Il était ressorti, je lui tournais le dos et je priais intérieurement pour ne pas le voir dans le plus simple appareil lorsque je me retournerai. Il commença à se lancer dans un monologue qui devenait de plus en plus douteux, si bien que j’avais finir par changer de position pour lui faire face. Dieu merci, il était habillé, mais sérieux Shay : c’est quoi ces propos ?

- Euh … J’espère pour toi que personne n’est passé devant la chambre pendant que tu déballais ton speech. On dirait presque que tu es un éon qui souhaite s’envoyer en l’air avec une humaine là.

Il n’allait pas comprendre pourquoi j’imagine, et je préfère ne pas avoir à lui expliquer. Je me redressais, de ce que je comprenais, Shay voulait être un compagnon de voyage plus agréable, mais ca nécessiterait de devenir plus … « humain ». Je me retrouvais assise au bord du lit et le fixais droit dans les yeux, d’une expression faciale qui n’affichait aucune émotion. Et pourtant …

- Très honnêtement Shay. Quand tu dis de vouloir être « aussi bon » que mon ancien compagnon … Je te souhaite de ne pas être comme lui. Il a été adorable et j’ai passé de bons moments avec lui mais il m’a plus fait tourner en bourrique, m’a déçue et fait du mal, qu’autre chose. Et puis il … Pourquoi je déballe tout ca moi ? Je soupirais. - Peu importe, laisse tomber. Ce que je veux dire, c’est de ne pas chercher à te comparer ou à égaler quelqu’un que j’ai déjà connu. Si cette personne était si parfaite et à la hauteur de mes attentes, et inversement, je serai toujours à ses côtés aujourd’hui.

Je me souvenais ô combien il m’a complètement délaissée depuis qu’il était passé sur ces continents volants et remplis de trésors, là-haut. Pendant que je croupissais et moisissais ici. Il était parti du jour au lendemain sans moi. A part cela, il tenait à moi et j’étais sa plus fidèle et fervente alliée, hein ? Tu parles.
Je commençais à réfléchir, et puis, les propos de Shay revenaient dans ma tête et je levais la tête vers lui avec un air interrogateur.

- Mais tu ne crois pas que tu commences déjà à agir comme un humain ? Les éons n’ont pas d’émotions et de sentiments, si ? Donc ils ne peuvent pas ressentir le moindre désir, quel qu’il soit. Pourtant tu viens d’affirmer que tu souhaitais que je te trouve d’une agréable compagnie. Ca veut dire que tu te soucies de mon propre plaisir.

J’avais préféré de ne pas relever la réponse de Shay suite à mon commentaire. Si bien qu’il s’était confié sur son désir de vouloir être un aussi bon partenaire que le précédent, et après mon petit speech, sa question eut le don de me faire lâcher un bref rire. Vouloir tuer Mikhaïl ? Juste parce qu’il m’avait blessée ?

- Si quelqu’un doit le tuer un jour, ce sera moi.

Bien sûr je n’étais pas sérieuse même si j’étais vraiment rancunière à son égard. Mais non, tuer un ancien compagnon de sang-froid, n’était pas une solution. Je préférais relever son défi et l’abaisser un bon coup, et l’abandonner à son sort avec un égo brisé. C’était la meilleure des leçons qu’il pouvait recevoir après m’avoir traitée de la sorte ou même de m’avoir utilisée. Et pourtant j’avais gardé son pendentif, trouvé dans le colis que j’avais reçu hier …

Bref. Quelque chose avait fini par m’interpeler. Shay voulait être plus humain, mais ne commençait-il donc pas à l’être s’il en venait à souhaiter vouloir être un compagnon de voyage plus agréable ? Il doutait, qu’il disait … Le doute est humain, j’approuvais d’un hochement de tête avant qu’li ne suggère à sortir d’ici pour se rendre à l’adresse que l’homme au bar nous avait confiés hier. Avec l’agitation de la veille, je n’avais même pas regardé où ca nous menait et j’étais étonnée que Shay s’en souvienne, lui qui s’était retrouvé ivre. Toujours assise au bord du lit, j’avais haussé un sourcil, ne masquant ainsi pas ma surprise.

- Oh tu te souviens de ca ? En général quand on boit de l’alcool à grandes doses au cours d’une soirée au point de se retrouver saoul, c’est rare qu’on se souvienne de tout le lendemain.

Je m’étirais, je me sentais encore fatiguée, une heure ou deux de plus à dormir n’aurait pas été de trop !! Mais là, Shay posa une nouvelle question sans aucun rapport avec le reste et je plongeais mon regard dans le sien un instant. Et je soupirais. Je n’avais vraiment pas envie de répondre à cette question. Je préférais me lever, attraper mes affaires et passer à côté de lui pour aller m’enfermer dans la salle de bain le temps de me débarbouiller et passer un peu d’eau fraîche sur le visage. Car je sentais que j’avais chaud, anormalement chaud tout à coup, aux joues. J’avais rougi ? Je n’avais rien dit à Shay, mais le silence était déjà une forme de réponse, à voir comment il l’avait interprété, par contre.

Bref, j’avais des vêtements de rechange, j’en profitais pour me changer aussi, avec tout ca, je n’avais pas eu l’occasion de faire laver mes habits actuels, ce sera donc à faire de toute urgence à la prochaine halte dans une auberge ou un hôtel. J’adoptais une tenue bien différente de celle que je portais jusque-là, mais appropriée dans le monde des pirates – y avait même pire, pour ainsi dire.

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Je ressortais de la salle de bain et attachais mon arme au niveau de ma taille, repassais devant Shay comme s’il n’était pas là et ouvrais mon sac pour mettre les affaires que je portais juste avant dedans. Mais je retrouvais deux choses dans les poches alors je les sortais pour les fixer un instant. La première, c’était le pendentif reçu la veille par Mikhaïl. La seconde, c’était la clé de l’Orion. Mpff. T’as voulu la jouer fairplay, mais je suis sûre que tu as déjà préparé un plan pour prendre de l’avance, hein, Mikhaïl ? Je glissais les deux objets dans la poche de mon pantalon, je n’avais même pas envie de porter ce collier.

- Allez, on y va. C’est quoi l’adresse sur le papier ? Que je sache si c’est un informateur que je connais ou non. Et s’il est fiable ou pas.

Je me gardais bien de dire que de toute façon, personne dans cette cité n’était à 100% fiable. Et j’étais assurée que, peu importe ce qu’on demanderait, il y aurait un service à rendre en échange. L’idée ne me plaisait pas des masses et je pense que je vais devoir me charger des négociations. Ca me faisait penser à quelque chose, et une fois dehors, et les clés de la chambre rendues à l’accueil, je m’arrêtais pour me tourner vers Shay.

- Qu’on soit bien d’accord, ne refais pas le même bordel qu’hier s’il te plaît. Et ne t’avises plus à changer des êtres humains en statue à mon effigie s’il te plaît, ou n’importe quelle autre connerie du genre. Et sois sur tes gardes, t’as dû te faire remarquer hier et je pense que je n’ai pas à te préciser que ta magie est loin d’être à la portée d’une quelconque autre race de ce monde. T’as beau dire, tu es MON éon, ma trouvaille, et pas celui d’un autre, alors reste près de moi et si y a quelqu’un qui te semble agir de façon suspicieuse et/ou suspecte à ton égard, tu me le dis. Que je l’étripe.

Bon, maintenant, on allait à l’endroit prévu pour rencontrer le type qu’on nous avait recommandés. On va reprendre depuis le début pour les portails puisque hier, le mec à la taverne n’avait pas eu le temps de nous aider à en apprendre plus à cause de Shay qui s’était enfilé des verres cul sec à la pelle …

Ok à entendre Shay plus tôt, on aurait cru que le massacre du Sanctuaire de Bur-Omisace avait été un moment jouissif dans l’Histoire alors que … Ouais non, entre la vision des éons et celle des humains, il y avait tout un univers entre les deux. Nous étions en route pour rejoindre l’adresse qu’on nous avait fournie la veille.

- Ah oui, Gil le Louche. Ce type est … … … louche.

Je cherchais un mot pour le qualifier mais finalement il portait bien son nom. En chemin, Shay souhaitait davantage d’informations sur la population de Balfonheim, et je lui répondis machinalement alors que mon regard furetait un peu partout pour cibler de potentielles cibles suspectes.

- Bah, malgré la localisation de Balfonheim dans l’Empire d’Archadia, cette ville est en réalité indépendante, elle n’a jamais pris part aux conflits entre les archadiens et leurs ennemis. Quant à la population on y trouve essentiellement des marins ou des pirates. Tu remarqueras qu’on ne voit que trop rarement des familles se balader en ville, et ceux qui ont choisi de la fonder ici, ce sont rarement des personnes « normales » ou alors ce sont ceux qui ont l’habitude de fréquenter cet endroit. Des riches commerçants, des voleurs de renom … et j’en passe.

Bien sûr, il y avait quand même des personnes « normales » qui vivaient ici, mais je parlais de la grande majorité. On ne voyait pas beaucoup d’enfants non plus dans le coin, la plupart des gens qui viennent ici ne viennent pas dans le but de fonder une vie de famille. L’évolution de la population était assez stable. Quand les vieux partaient, ils étaient vite remplacés par la jeunesse assoiffée d’aventure, de richesse et de liberté.

Bref. Je mettais quand même en garde Shay afin qu’il ne reproduise pas ce qu’il avait fait la veille, mais surtout qu’il veille à ce que personne ne s’intéresse d’un peu trop près à lui. Il avait dû se faire remarquer à la taverne, et la seule chose qu’il releva de mes propos, c’est qu’il ne m’appartenait pas, au même titre que je ne lui appartenais pas. On appartient aux dieux, blablabla. Mais oui, bien sûr.

- Ca, c’est que tu affirmes parce que c’est ce qu’on t’a rentré dans le crâne le jour où tu es né.

Nous y étions. La porte était fermée, mais pas à clé, et après plusieurs tentatives d’attirer l’attention en frappant, Shay se décidait à l’ouvrir. J’avais croisé son regard, et le temps qu’il s’exécute, j’avais sorti Magnolia de son fourreau. Ce type était réputé entre autre pour être très bizarre, mais en plus, il avait parfois la fâcheuse manie d’avoir un accueil déplorable. On va dire que je préfère prévenir que guérir.

- Sors ton arme. Si tu en as une.

Et j’entrais la première. Il faisait sombre, l’endroit était dans un piteux état. Presque le cliché du repère d’un gang de voleurs, c’était miteux et on pourrait comparer ca à une caverne. Il y avait un escalier qui descendait dans les sous-sols de la ville, des torches allumées en bas mais j’avais froncé les sourcils. Dès que j’arrivais sur la dernière marche, une boule de feu se forma dans ma main libre. L’autre se tendit sur le côté dès que je posais le pied par terre et vint se planter dans le ventre d’un des larbins de l’informateur. Il gémit de douleur, et ma main enflammée visa un coin sombre de la pièce où en réalité, un malandrin s’était caché dans l’ombre.

- Toi t’es le stagiaire de la bande non ? Que je demandais à celui que je venais de planter sur place. - Désolée chéri, t’es pas assez discret pour moi. Si tu pouvais dire par contre à ton pote caché là-bas que s’il se décide pas à sortir de là, je l’incendie sur place …

Il sortit tout seul en constatant qu’il avait été repéré et j’affichais un sourire amusé. Je faisais disparaître ma flamme et retirais ma lame de l’abdomen du petit bleu, qui s’écroula alors au sol pour se retrouver en position fœtale. L’autre me regardait avec un air haineux sur le visage, mais je sortais une fiole de potion pour la lui lancer.

- Me regarde pas comme ca mon chou, il va pas mourir. Enfin ca dépend si tu lui donnes ca assez rapidement en fait …
- Mais vous êtes qui vous deux !? Pourquoi vous avez fait ca !?
- Bah pourquoi vous vous apprêtiez à nous accueillir en nous sautant à la gorge avec vos poignards ?

Je baissais les yeux pour désigner l’arme blanche qu’il tenait dans sa main et j’entendis un « tsk » d’agacement s’échapper de sa bouche. Bon en tout cas aucun des deux n’était Gil, mais ils bossaient pour lui de toute évidence.

Précision:

L’homme est un loup pour l’homme. J’aurai pu lancer un regard à Shay pour lui faire comprendre d’éviter ce genre de commentaires si je n’étais pas concentrée à garder un œil sur les deux brigands. Alors, il leur demanda plutôt où se trouvait Gil, les deux types se regardèrent et je soupirais d’un air blasé.

- Ouais ouais, faites pas gaffe, il est nouveau dans le domaine lui aussi. Mais c’est pas une raison pour chercher à l’entuber, ma tendre Magnolia a déjà fait ses preuves vous ne croyez pas ?

Que je leur lâchais tout en ayant ramené la lame de mon épée contre moi comme si c’était une poupée à laquelle je tenais. Ils devaient sûrement me prendre pour une psychopathe, mais face à des crétins de bas étage, l’intimidation était la meilleure des armes pour les convaincre de nous donner ce qu’on voulait. Pour Gil, je savais qu’il en faudrait peut-être plus que ca … Alors ils nous désignèrent la porte derrière eux et j’avançais avec Shay, restant sur mes gardes mais de toute manière, ils ne comptaient plus rien faire. Au contraire, celui à qui j’avais balancé la potion se dépêcha de suivre mon conseil en allant soigner son pote.

On pénétrait alors dans la salle suivante sans frapper. Je ne comptais pas le faire non plus, de toute manière. Je haussais un sourcil en voyant le gros porc en train de dessiner dans son coin avant de lever les yeux vers Gil. Ce type ne m’inspirait tellement pas confiance mais bon, nous n’étions pas là pour nous faire confiance, juste pour l’interroger. J’avais gardé Magnolia avec moi, je la portais sur mes épaules, et l’acier avait beau être rouge, tout comme le sang, ce dernier était encore bien visible et se repérait distinctement sur la lame. A la question de Shay, le type se contenta de lever les yeux vers nous et étira un sourire presque … malsain. Il avait l’air fou.

- Ce n’est pas très poli de venir chez moi et d’abîmer mes larbins en guise de salutations, Alizée. P’tain il se souvenait de moi ? Je soupirais.
- J’y peux rien si l’accueil est toujours aussi pourri ici. Non seulement je m’y attendais mais en prime ils sont vraiment des crétins niveau discrétion. C’est la crise pour toi aussi pour que tu recrutes des bleus pareils ? Il se mit à rire d’une façon tellement … louche – il porte bien son nom, disais-je – que je préférais ne pas faire de commentaires.
- Ce n’est pas parce que tu as été formée par Mikhaïl que tu devrais te permettre de sous-estimer tes aînés. J’avais serré un peu plus le manche de mon arme à cette mention, mais je finissais par soupirer. Ne pas relever. Ne surtout pas relever. - Que me vaut l’honneur de cette visite d’un bel inconnu et de l’une des plus charmantes pirates du ciel de Balfonheim ?
- Un eunuque comme toi ne devrait pas tenter la carte du charme avec les femmes, tu sais … Je baissais enfin mon arme, petit sourire en coin avant de tourner la tête vers Shay. Les portails, donc … - Et pour info il s’appelle Shay. Toi qui sais tout sur tout, tu ne sauras pas quelques petites choses sur ces portails ? Notamment celui qui est sur le port. Tes petits moineaux ne t’auraient pas murmuré quelques petites choses à l’oreille, comme d’hab’ ?
- Oh ca … Mes petits moineaux m’ont murmuré bien des choses à ce sujet oui … Mais pourquoi je vous dirai ce que je sais ?

Je lâchais un « tsk » d’agacement. C’est le genre de phrase typique qui sous-entend qu’il attend quelque chose en retour, et je n’aimais vraiment pas jouer à ce jeu. J’aurai pu me barrer et faire demi-tour à ce moment-là, mais ca aurait été nous ramener à la case départ sur nos « recherches ». Enfin pour les recherches de Shay, surtout. De plus, je ne suis pas sûre qu’il nous aurait laissé quitter les lieux aussi tranquillement sans chercher à nous mettre des bâtons dans les roues.
C’était l’un des meilleurs informateurs du coin, nous n’avions pas trop le choix. On s’était engagés dans une voie où l’on ne pouvait pas faire demi-tour.

- Je t’accorderai une seule faveur en échange de tes informations. Une seule. Et tu sais très bien que je suis efficace dans mon travail, moi au moins. Il tourna les yeux vers Shay mais je le coupais tout de suite. - Nan, nan. Lui il est à moi, pas touche. Pas négociable. Et il étira un sourire à nouveau pervers et malsain.
- Je t’écoute.
- T’aurais pas remarqué quelque chose de bizarre le jour où le portail est apparu ? Autant la piste des dieux a été évoquée, mais d’une, je ne suis pas super croyante, et de deux, je ne vois pas pourquoi ils se mêleraient des affaires des humains et divers peuples d’Ivalice, tout à coup. Surtout pour lier d’autres mondes au nôtre.
- Des dieux non. Mais ces portails ne sont pas l’œuvre de la nature non plus. Oh, tu m’intéresses. - Le jour où le portail est apparu, l’un de mes petits oiseaux a vu un bouffon parler tout seul, sceptre à la main, exploitant une magie inconnue à ce jour … Le portail est apparu.
- … Quoi ? Tu vas nous faire croire qu’un bouffon a fait apparaître ce truc ? Manque plus que tu me dises que l’orage vienne de lui aussi et je m’étouffe avec mes cheveux.
- L’orage a un lien indéniable avec les portails, mais je te garantis que ce type a fait quelque chose pour ces portes vers d’autres mondes.

Je levais les yeux vers Shay. Honnêtement je savais qu’il n’était pas du genre à dire des conneries Gil quand il s’agissait de fournir des informations quand il avait un gain quelconque à la clé, mais sérieux celle-là j’avais du mal à la gober. Un bouffon quoi ! Un clown qui vient d’un cirque !? Et puis quoi encore ? Bon j’ignorais que sur le monde de Balance, c’était effectivement un clown qui avait manqué de faire tout péter, mais passons …

- Tu m’dis des conneries. Va te faire foutre, je vois pas pourquoi j’offrirai mes services à un crétin dans ton genre. Viens Shay. Alors que je commençais à tourner les talons, Gil reprenait la parole.
- Oh, au fait, les recherches ont été fructueuses ? Tu sais, l’histoire de l’éon de lumière enfermé dans le palais enfoui de Sohen.

Je m’étais arrêtée brusquement en écarquillant les yeux. Comment savait-il que j’avais été là-bas pour cette raison précise !? Je doutais qu’il ait pu deviner pour Shay d’un simple regard … à moins que … ? Je jetais à nouveau un regard vers Shay. Je ne suis pas sûre qu’il ait compris le message. Mais là très franchement, ca sentait le roussi.

Je n’avais dit à personne que je me rendais dans le Palais Enfoui de Sohen … Malgré la pauvreté des lieux, le réseau de Gil était encore en place. Comment ont-ils su ? J’ai été suivie ? Non, je m’en étais assurée. Je grimaçais d’agacement, alors que je tournais le dos à ce crétin. J’aurai aimé que Shay la ferme et me suive, mais, il ne fit que confirmer les dires de Gil et à cet instant, je baissais la tête, fermant les yeux, me pinçant l’arête du nez. La bonne blague. Je rêve. Ouais c’est ca. C’est un cauchemar, je vais me réveiller.

Je vais le tuer.

Voilà que Shay se transformait en Sherlock Holmes en faisant toute une analyse de la pièce, du garde du corps et même de Gil, pour m’affirmer qu’il ne mentait pas sur son information. J’avais fini par ranger mon arme et m’étais retournée pour croiser les bras, taper de pied et observer mon « partenaire » finir son étude. Dans d’autres circonstances, j’aurai apprécié sa capacité à interpréter ainsi tout ce qu’il voyait. Mais là, il me faisait perdre mon temps, j’avais juste envie de me tirer d’ici avant que ca nous attire des ennuis. Gil ne bronchait pas à tout ce que Shay disait et affirmait, mais je n’aimais pas le regard qu’il portait à « mon » éon. Moi, je fulminais de mon côté, de plus en plus, et là, Shay me donna le coup de grâce en disant que je devais payer pour l’info. Je lui lançais un regard meurtrier et prenais mon élan pour carrément le foutre à terre pour l’étrangler.

- JE VAIS TE TUEEEEEEEEEER !!!!!!! POURQUOI T’AS DIT CA !!!!!!!!!!! Tu peux pas juste te taire des fois !??????

Et j’entendais Gil éclater de rire. Alors je lâchais Shay, même si je restais assise dessus dans une position qui aurait été trop tendancieuse dans un contexte différent. Je tournais les yeux pour chercher à apercevoir ce crétin du coin de l’œil.

- Qu’est-ce qui te fait rire, vieux fou ?
- Je constate juste que vous êtes très loin d’être sur la même longueur d’onde. Il pourrait t’attirer vers d’énormes problèmes, tu sais …
- Ooooh je te vois venir. « Mais moi je saurai quoi en faire, il a un potentiel que je saurai lui faire exploiter ». Il est pas con, il connaît lui-même son propre potentiel. Contente-toi un peu de ce que tu as … Même si certes, je conçois qu’avoir un Seeq qui dessine mal, un nain ivrogne et une fille défigurée, dans ses rangs, c’est pas très cool. Les filles même ? Y en avait plusieurs ? Oh je sais plus, on s’en fout. Ils sont où d’ailleurs ? Ils en avaient marre de tes conneries ? Mais il se mit à rire à nouveau.
- Non, j’allais surtout dire que moi, je pourrais te sortir des problèmes. L’éon ne m’intéresse pas. Trop intelligent et indépendant, il ne se laissera jamais être traité comme un objet et ne se soumettra jamais à personne.

Je fronçais les sourcils. Ok, le message était bien passé dans mon esprit, j’avais bien compris que Gil me disait de le laisser tomber parce qu’il ne m’apporterait finalement rien. J’avais posé mes yeux sur Shay un instant, toujours l’air dur, et je soupirais longuement avant me relever. Dans quoi je m’étais fourrée. Je ne tendais même pas la main à Shay, je ne répondais rien à personne. J’avais l’impression d’avoir pris un énorme coup dans l’égo et si d’ordinaire mes tendances impulsives m’auraient poussé à répondre n’importe quoi, je préférais juste me taire pour l’heure. Je ne le voyais pas, mais Gil étira un sourire satisfait.

- Bien. Alors va. Quoi ?
- C’est quoi le piège ?
- Il n’y en a pas. Je n’ai pas besoin de toi pour le moment. Mais tu as une dette à payer maintenant. Le moment venu, tu sauras comment la payer.

Sa manière à lui de dire qu’il enverrait quelqu’un … Mais ca signifiait alors qu’il allait me pister pour savoir où j’allais me rendre et là pour l’heure, pour échapper à ca, je n’avais qu’une seule idée en tête : prendre un portail et me barrer. Mais si je le faisais là à Balfonheim, il le saurait, et lui donnait tout de suite la preuve que je prenais la fuite, ce n’était pas bon.

Je haussais donc des épaules, quittant les lieux puisqu’il ne m’en empêchait pas. Peu importe que Shay me suive ou non en fait, je prenais la direction du port pour m’installer dans un coin tranquille afin de me mettre assise. Je ramenais mes jambes contre moi et posais mes bras dessus, puis ma tête. Fixant l’océan qui s’étendait jusqu’à l’horizon.

Alors c’est comme ca hein ? Quand on cherchait les trésors ensembles avec Mikhaïl, malgré les difficultés, malgré les pièges, on s’en sortait toujours. Pourquoi quand je suis seule à mon compte, rien ne va jamais ? Où me trompais-je encore ?

Enfermée dans ma bulle, et dans mon coin, j’avais bien remarqué du coin de l’œil que Shay était plus loin, mais je n’y prêtais pas vraiment attention. Du moins, ca m’allait tant qu’il n’approchait pas. Ca risquait de m’agacer. Cependant, il n’approcha pas « physiquement » parlant … mais tenta plutôt une approche par les paroles. Il parlait d’avoir récupéré un pouvoir. Je fronçais un peu les sourcils en entendant le son de sa voix. Ce qu’il prit pour une marque d’attention puisqu’il commença à déballer un speech sur les « bienfaits » de notre rencontre avec Gil. Tu parles. Je ne suis pas aussi optimiste de mon côté. Je ne m’énervais même pas sur le dernier point, je gardais ma position, et je ne daignais pas tourner la tête du côté de Shay.

- Va-t-en. Pars, si tu le souhaites. Je ne te retiendrai pas.

Sans doute allait-il se demander d’où venait ce revirement de situation, et surtout cette « nouvelle » façon de penser. Enfin, pas très difficile remarque de deviner d’où ca venait, on sortait de chez Gil, hein.

- Qui sait. Tu n’es peut-être pas le seul éon de lumière à avoir pris une forme humaine, ou du moins, à avoir perdu ta forme d’origine ainsi que tes pouvoirs. Peut-être qu’en retrouvant les tiens, vous trouverez une solution au problème.

Je poussais un long soupir d’exaspération. La vérité je crois, c’est que je ne savais pas quoi faire tout à coup. J’avais plus que jamais l’impression de m’être foirée pour Shay et que je devais tout reprendre à zéro … avec maintenant en prime, les gars de Gil qui ne seront probablement jamais bien loin de sorte à pouvoir garder un œil sur moi. Le seul moyen de leur échapper était de passer un portail, mais le faire maintenant serait trop suspect et ne ferait que m’attirer des problèmes si je reviens un jour ici. Et soyons francs, je finirai bien par y revenir.
Je me décidais enfin à tourner la tête sur le côté pour pouvoir le regarder, même si elle était toujours nichée dans mes bras.

- Gil a raison te concernant. Je n’aurai sûrement pas dû aller à Sohen l’autre jour. Mais bon, il serait encore emprisonné à l’heure actuelle dans le cas inverse. - C’était la première fois que je partais seule sur la piste d’un « gros » trésor et … mais pourquoi je te dis ca ?

J’aurai aimé être à la hauteur et que les choses se passent dans la même direction que je le souhaitais. Pourtant, mon propre parcours m’avait montré à de nombreuses reprises que les choses n’allaient JAMAIS dans la direction que l’on souhaitait.

- Peu importe. Je n’aurai jamais le contrôle sur toi, tu es indépendant et tu as ton libre arbitre. Alors … rien ne te retient à rester là.

J’aurai échoué et puis c’est tout.

Je n’étais pas surprise du tout que Shay décide de partir – pour une fois qu’il écoute ce que je dis. En revanche, pour seule réponse à ses questions sur le pourquoi j’étais venue à Sohen et d’où provenaient mes sources, je n’avais fait qu’hausser les épaules. Pourquoi est-ce que ca l’intéressait, maintenant ? Voyant que je n’étais pas décidée à lui répondre, il s’était éloigné, je ne m’étais pas retournée dans sa direction une seule fois, jusqu’à ce que le temps se soit suffisamment écoulé pour que je sois sûre qu’il ait disparu de mon champ de vision. J’étais restée ainsi à fixer l’océan, dans mes idées les plus noires et en repensant à des souvenirs qui semblaient si lointains désormais. Je me remettais plus ou moins en question aussi. Ca ne me ressemblait pas. Je n’étais pas du genre à m’abattre au premier obstacle en temps normal, et paraître si faible tout à coup m’agaçait au plus haut point. Etait-ce parce que tout était différent maintenant que j’étais seule ?

J’avais fini par me relever, je commençais à avoir les fesses endolories dans une telle position, et puis il fallait bien que je me décide à bouger. J’allais devoir revoir mes priorités, mais avant ca … une bonne cuite s’imposait ! Direction la taverne, mais pas la même que la veille, fallait pas déconner, histoire de se faire une petite cure au rhum, la boisson de prédilection de tout bon pirate qui se respecte ! C’était certes un stéréotype, mais aussi la vérité, il faut dire. Et pourtant parmi toutes les têtes présentes, je reconnaissais celle de Winfried, rappelez-vous, ce type qui m’avait donné la lettre de Mikhail ainsi que le colis, à notre arrivée à Balfonheim. Il semblait en pleine discussion avec quelqu’un d’autre, mais je n’hésitais pas à prendre un verre pour venir m’installer à la table.

- Et bah Liz’, vas-y fais comme chez toi ?
- C’est ce que je fais, désolée les mecs, j’espère que ca vous dérange pas que je prenne une cuite avec vous. Et le troisième type, que je ne connaissais pas, me reluqua un instant avec un regard intéressé.
- Non, mais ca dépend ce que tu prévois après ? Et Win’ se mit à rire grossièrement.
- Je te conseille de pas jouer à ce jeu, elle peut te couper les bourses en une seconde ! Et je préfère ne pas te préciser lesquelles !
- Hm tu me connais par cœur. Par contre vous tirez une de ces têtes, on dirait que je débarque en plein milieu d’une grosse affaire.
- Pas vraiment … En fait on parlait de …

Et c’est ainsi que j’appris pour les rumeurs au sujet du retour de Vayne, ce crétin aveuglé par le pouvoir qui avait mis les pays à feu et à sang avec son idée de conquête. Pas sûr que Larsa apprécie la nouvelle, si encore c’était vrai. Nous ignorions tous d’où venait la source de cette rumeur, mais une chose est sûre : on n’avait pas de preuves sous les yeux et ensuite, ce n’était pas vraiment drôle de plaisanter avec ca.

- Dis au fait Liz’, il est pas là ton nouveau pote ? Comment il s’appelle déjà. Shay ? Je fixais un point, depuis le temps, j’étais déjà à mon troisième verre.
- Longue histoire.

Et je m’enfilais cul sec le troisième et … et en fait je poursuivais sur cette voie jusqu’à ne plus avoir de souvenirs de ce qu’il s’était passé à la taverne. Je m’étais endormie – ou étais tombée inconsciente, qui sait ! Je sais que je n’étais pas un modèle à suivre pour le coup, passer une grande partie du début de l’après-midi à boire alors que mon estomac était vide … Lorsque je me réveillais, j’étais dans un lit bien douillet, dans une chambre de l’auberge … Je me redressais difficilement, j’avais l’impression d’avoir un tambour dans la tête, j’avais envie de vomir aussi. Mais j’étais encore toute habillée. Je regardais par la fenêtre, le soleil était en train de se coucher. Difficilement, je me levais, je remarquais un mot sur ma table de nuit que je me dépêchais d’attraper pour le lire.

« Hey miss, vas-y mollo la prochaine fois sur les verres ! Bref, je t’ai ramené ici, t’étais presqu’ivre morte, j’te jure ! La chambre est payée, et j’ai demandé à ce qu’on t’apporte un repas dans la soirée, j’espère que tu seras réveillée d’ici là. T’as intérêt à me rembourser !





J’avais beau avoir un mal de crâne atroce, ca m’avait fait sourire. Merci Winfried. J’allais prendre une douche pour espérer me réveiller un peu, mais à me voir dans le miroir, j’avais vraiment une sale tête ! J’envoyais toutes mes affaires au lavage, il m’était urgent qu’on me nettoie tout ca et lorsque je ressortais enfin propre. Même me laver les dents avait été un calvaire, j’ai bien cru que j’allais gerber. Mais on tambourinait à ma porte. C’était sûrement le repas. Putain j’avais dormi toute l’après-midi quand même. J’avais même pas eu le temps de m’habiller, seulement d’enrouler une serviette autour de moi, si bien que si c’est un mec qui ouvrait, il aurait largement de quoi se rincer l’œil. J’avais même encore les cheveux trempés, pour dire.

- Rah p’tain j’arrive, pas si fort la porte !!

Mais lorsque j’ouvris, je me figeais. Bordel je l’avais presque oublié celui-là !

- Hein ? Shay ? L’aubergiste avait dû me reconnaître lorsqu’il lui avait demandé si on m’avait vue et lui avait indiqué ma chambre. - Qu’est-ce que … Rah peu importe, putain, rentre, je suis pas habillée !

D’une main je maintenais la serviette contre moi pour m’assurer qu’elle n’allait pas s’ouvrir, et de l’autre, je lui attrapais le bras pour le forcer à rentrer. Je claquais la porte pour aller vite fait dans la salle de bain le temps d’enfiler une culotte et une nuisette – oui bon j’ai rien d’autre sous la main, je peux pas voyager avec des polaires non plus ! Et je revenais dans la pièce, même si j’avais comme un bug de le voir là.

- Pourquoi t’es revenu ? Je t’ai dit que tu pouvais partir, ca sous-entendait que tu pouvais me laisser tomber. Alors pourquoi tu reviens me voir ? Je te manque tant que ca finalement ?

Bon je jouais sur la provocation et les piques, mais la vérité, c’est que je me posais vraiment la question en fait. Pourquoi il ne voulait pas me lâcher alors qu’il savait très bien comment je voulais le traiter à la base ?